CHAPITRE XXIV
Ladislas Malinowski regarda alternativement les deux policiers puis, rejetant la tête en arrière, éclata de rire.
— Très amusant ! Vous êtes tellement solennels que vous ressemblez à des hiboux ! Il est inadmissible que vous me fassiez venir ici pour me poser des questions. Vous n’avez rien contre moi, rien !
— Nous pensons que vous pourriez nous aider dans nos recherches, Mr Malinowski, répondit le chef inspecteur Davy, d’une voix doucereuse. Vous avez une voiture, Mercedes-Otto immatriculée FAN 2266.
— Y a-t-il une raison qui s’opposerait à ce que je possède une telle voiture ?
— Aucune raison, Mr Malinowski. Il subsiste seulement un léger doute quant au numéro matricule. Votre voiture a été rencontrée sur l’autoroute M. 7 avec un numéro différent.
— Ridicule ! Il devait s’agir d’une autre voiture.
— Il n’y en a pas tant de cette catégorie et de cette marque. Nous avons collationné toutes celles qui sont en circulation.
— J’imagine que vous croyez les sottises que vos policiers de la route vous racontent ! Rien que pour rigoler, dites-moi donc où se trouvait cette mystérieuse auto ?
— Non loin de Bedhampton, durant la nuit du hold-up du courrier irlandais.
— Vous m’amusez !
— Possédez-vous un revolver ?
— Certainement, j’ai un revolver et un pistolet automatique, avec des permis de port d’arme pour chacun d’eux.
— Vous les détenez tous les deux ?
— Évidemment.
— Je vous ai déjà prévenu, Mr Malinowski.
— Le fameux avertissement de la police ! Tout ce que vous allez dire sera écrit et utilisé contre vous lors de votre jugement.
— Ce ne sont pas là les mots exacts, répondit paisiblement Father. Utilisé oui, mais pas contre vous. Vous ne souhaitez pas modifier votre déclaration ?
— Non.
— Et vous êtes sûr que vous ne voulez pas qu’on appelle votre avocat ?
— Je n’aime pas les avocats.
— Libre à vous. Où se trouvent vos armes à feu en ce moment ?
— Je pense que vous ne l’ignorez pas, chef inspecteur. Le petit pistolet est dans le coffre à gants de ma voiture, la Mercedes-Otto dont le numéro matricule est, comme je vous le disais, FAN 2266. Le revolver est dans un tiroir, chez moi.
— Vous avez parfaitement raison en ce qui concerne celui qui est chez vous, mais l’autre, le petit revolver, ne se trouve pas dans votre voiture.
— Mais si, voyons !
— Non. Il a pu y être, mais il ne s’y trouve plus à présent. Est-ce celui-ci, Mr Malinowski ?
Il posa sur la table un petit automatique. L’air profondément étonné, Ladislas Malinowski le prit.
— Oui, c’est celui-là ! Ainsi, c’est vous qui l’avez chipé dans ma voiture ?
— Je vous répète qu’il n’était pas dans votre voiture. Nous l’avons trouvé ailleurs.
— Où ?
— Dans un terrain vague près de Pond Street qui, comme vous devez le savoir, est une rue voisine de Park Lane. Il a pu y être jeté par un homme qui descendait cette rue… en courant, peut-être ?
Ladislas Malinowski haussa les épaules.
— Ça n’a rien à voir avec moi, j’ai encore vu cette arme dans ma voiture, il y a un jour ou deux. On ne vérifie pas constamment si les choses sont toujours bien à la même place, n’est-ce pas ?
— L’ennuyeux, Mr Malinowski, est que ce revolver a servi à tuer Michael Gorman, la nuit du 26 novembre.
— Michael Gorman ? Je ne connais pas de type de ce nom.
— Le portier de l’hôtel Bertram.
— Ah ! oui ! Celui qui s’est fait descendre. J’ai lu l’histoire dans les journaux. Et vous dites que c’est avec mon revolver qu’on l’a abattu ?
— C’est ce que pensent les experts. Vous devez connaître assez bien les armes à feu pour savoir que leur témoignage est indiscutable.
— Vous essayez de me mettre cette affaire sur le dos, hein ? Je sais de quoi vous êtes capables, vous autres, les policiers !
— Je constate que vous semblez connaître très bien la police de ce pays, Mr Malinowski ?
— Êtes-vous en train de suggérer que j’ai tué Michael Gorman ?
— Pour le moment, nous vous réclamons simplement une déposition. Aucune accusation n’a été portée, que je sache ?
— Mais vous pensez… que j’ai descendu ce pantin grotesque. Pourquoi l’aurais-je fait ? Je ne lui devais pas d’argent, je n’avais rien contre lui.
— C’est sur une jeune fille qu’on tirait. Gorman courut vers elle pour la protéger et se fit tuer à sa place.
— Une jeune fille ?
— Oui, et je pense qu’elle ne vous est pas inconnue. Miss Elvira Blake.
Incrédule, Malinowski s’écria :
— Voulez-vous dire que quelqu’un a essayé de tuer Elvira avec ce pistolet et que ce quelqu’un ce serait moi ?
— Vous auriez pu vous quereller ?
— Pourquoi irais-je tuer la fille que je dois épouser ?
— Noterons-nous dans votre déposition que vous comptez épouser Miss Elvira Blake ?
Le garçon hésita un moment puis déclara en haussant les épaules :
— Elle est encore très jeune. Ce n’est donc pas absolument certain.
— Peut-être, après avoir promis de vous épouser, a-t-elle changé brusquement d’avis ? Elle avait peur de quelqu’un, Mr Malinowski. Était-ce de vous ?
— Pourquoi voudrais-je sa mort ? Ou bien, je suis amoureux d’elle et je l’épouse, ou bien je ne veux pas l’épouser et rien ne peut m’y forcer. Aussi simple que cela. Pour quelles raisons la tuerais-je ?
Davy attendit un moment avant d’ajouter :
— Il y a sa mère, bien sûr.
— Quoi ? (Malinowski bondit.) Bess, tuer sa propre fille ? Vous êtes fou ! Pourquoi Bess ferait-elle une chose pareille ?
— Étant sa plus proche parente, elle hériterait d’Elvira Blake en cas de décès.
— Bess, tuer pour de l’argent ! Allons donc ! Elle touche assez de dollars de son mari américain ! Suffisamment, en tout cas.
— Suffisamment n’est pas la même chose qu’une grosse fortune. Des mères ont tué leurs enfants pour cette raison sordide, et des enfants ont agi de même.
— Je vous répète que vous êtes fou !
— Vous déclarez que vous allez peut-être épouser Miss Blake. Peut-être l’avez-vous déjà épousée ? S’il en était ainsi, vous seriez son héritier.
— Quelle histoire plus grotesque pourriez-vous imaginer ? Non, je ne suis pas marié avec Elvira. C’est une jolie fille. Je l’estime et je sais qu’elle est amoureuse de moi. Je l’ai connue en Italie. Nous avons flirté… mais c’est tout. Rien de plus, vous comprenez ?
— Vraiment ? Pourtant, il y a seulement un instant, vous affirmiez qu’elle était la jeune fille que vous deviez épouser.
— Oh ! ça…
— Était-ce vrai ?
— Je l’ai dit parce que ça paraît plus respectable. On est puritain dans votre pays.
— Ce n’est certainement pas une explication satisfaisante, Mr Malinowski.
— Vous ne comprenez donc rien du tout ? Bess et moi sommes des amis très intimes… Je ne voulais pas le dire, c’est pourquoi j’ai suggéré que la fille et moi… étions fiancés. Cela paraît plus correct.
— Ce n’est pas du tout mon sentiment. Vous avez d’assez gros ennuis d’argent, en ce moment, n’est-ce pas ?
— Mon cher inspecteur, j’ai toujours des ennuis d’argent et c’est bien triste.
— Toutefois, j’ai appris qu’il y a seulement quelques mois vous dépensiez sans regarder.
— J’ai eu de la chance au jeu. Je suis joueur, je l’avoue.
— Je vous crois facilement sur ce point. Où avez-vous eu tellement de chance au jeu ?
— Vous ne le saurez pas et cela ne vous surprendra sûrement pas ? Est-ce tout ce que vous vouliez me demander ?
— Pour le moment, oui. Vous avez identifié le pistolet comme étant le vôtre. Cela nous aidera beaucoup.
— Je ne comprends pas… je ne puis imaginer. (Il tendit la main.) Donnez-le-moi, je vous prie.
— J’ai bien peur que nous ne puissions vous le rendre pour le moment. Je vais vous rédiger un reçu.
Il s’exécuta et tendit le papier à Malinowski qui sortit en claquant la porte.
— Un type nerveux, remarqua Father.
— Vous n’avez pas insisté sur le numéro de sa voiture, Sir ?
— Non. Je souhaite l’inquiéter, mais pas trop. Nous lui fournirons des raisons valables de se faire des soucis, mais une à la fois… et c’est déjà un bon début.
— Le patron désire vous voir dès que vous aurez un moment de libre, Sir.
Le chef inspecteur se rendit dans le bureau de son supérieur.
— Ah ! Father, vous avez du nouveau ?
— Oui. Nous progressons… pas mal de poissons déjà dans le filet. Des petites prises, bien sûr, mais nous approchons de la grosse pièce. L’engrenage est en marche…
— Bravo, Fred.